De 1962 à aujourd’hui

Coup d’État et arrivée de la junte militaire au pouvoir

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Général Ne Win

 

La Birmanie passa d’un État de tolérance pluraliste à un État maximaliste et xénophobe. [1] Alors que le gouvernement d’U Nu était une structure politique très partisane, le général Ne Win souhaitait l’inverse.[2] En fait, c’est en suivant une logique anticolonialiste et anticapitaliste ainsi qu’en se basant sur les événements sous U Nu que Ne Win proclama l’échec du parlement démocratique, spécialement pour la Birmanie. [3]  Le coup d’État de 1962 réalisé par le général Ne Win visait à mettre en place un système à parti unique socialiste sous le contrôle du Conseil révolutionnaire. Cet événement mit fin à la deuxième tentative du multipartisme constitutionnel. [4]

En 1964, le Conseil révolutionnaire déclara que les organisations bouddhistes devaient rester à l’écart de la politique. Ainsi, en 1965, bien que plusieurs monastères et organisations étaient en désaccord, Ne Win passa une réforme sur l’éducation. [5]

En tant que général, Ne Win avait le support et le contrôle de la force, c’est-à-dire de l’armée. Donc, afin de bien étendre son pouvoir sur tous les acteurs politiques préexistants, il s’attaqua aux minorités ethniques jouissant d’une politique d’autonomie ethnique. [6] Ayant lutté contre les rebelles des minorités ethniques sous U Nu, dès son arrivée au pouvoir, il fit arrêter les gens potentiellement dangereux. Par exemple, il fit arrêter la descendance des leaders Shan. [7]

La junte militaire installa donc un État clientéliste et établissa des réseaux de patronage permettant à l’armée de bien maintenir le pouvoir. La loyauté ammena donc une continuité de l’institution militaire et permetta d’éliminer toute faction existante. [8] Les chefs militaires autorisèrent toutes formes de répression aussi cruelles soient-elles contre les opposants du régime. Les droits de l’Homme étaient souvent violés. [9] Conséquemment, les médias étaient censurés et la liberté d’expression interdite. La junte militaire passa une loi qui obligeait tout article, photo ou livre à être lu par un conseil de militaires avant leur publication. [10] La population birmane vivait alors une situation de précarité et d’oppression totale avec arrestations aléatoires, crimes sexuels, torture, emprisonnements injustifiés, confiscation de terres, etc. [11]

Des années d’autosuffisance, d’autoritarisme, de politiques économiques douteuses et sous un régime de peur représentaient bien la période Ne Win. Vers la fin des années 1980, la Birmanie vivait un chaos économique et surtout un retard de développement important. En 1988, peu avant les événements tragiques, Ne Win déclara qu’il était conscient de l’échec d’une autarcie socialiste. [12] Il déclara que le changement vers un multipartisme améliorerait la Birmanie. Toutefois, suite aux manifestations de 1988, il reprit le pouvoir par la force en justifiant le besoin de remettre de l’ordre dans le pays chaotique. [13]

Révoltes de 1988

Les événements de 1988 ont effectivement été très intenses pour la Birmanie. En mars 1988, plusieurs mouvements étudiants descendaient dans les rues de Yangon et sur le campus universitaire pour manifester contre le régime.[14] Quatre jours plus tard, les militaires massacraient les manifestants en les noyant dans le lac Inya et en les mitraillant. Le mouvement s’éteignit en une semaine, mais provoqua des soubresauts des mois suivants. En août, la loi martiale fut déclarée afin que la junte militaire remette l’ordre en place. [15] Une grande manifestation fut organisée le 8 août 1988, date symbolique pour la numérologie. La répression fut cruelle et horrible et, en quatre jours, le nombre de morts s’élevait à 3000, sans compter les disparus et les victimes d’emprisonnement. [16] C’est à ce moment qu’entra en scène Aung San Suu kyi qui était au pays pour visiter sa mère. Témoin de ses horreurs, elle décida de commencer sa lutte politique pour libérer son peuple du régime de la junte. Elle fut vite acclamée par son courage et devint la cible du général Ne Win. Suite aux événements, les réactions de la communauté internationale furent vives et une multitude de sanctions furent imposées à la Birmanie pour avoir violé les Droits de l’Homme. [17]

Des élections furent organisées en 1990, mais voyant qu’il allait perdre les votes, la junte militaire entama une nouvelle phase répressive.[18] Le processus électoral qui s’était démontré jusqu’à ce moment libre et sans contrôle cachait les véritables intentions de la junte. Elle ne considérait pas vraiment laisser le pouvoir et manipula le résultat des élections. [19] Plusieurs leaders du NLD dont Aung San Suu Kyi étaient déjà emprisonnés ou maintenus captifs étant donné la campagne de désobéissance civile qu’ils avaient menée. [20] Les pressions internationales commencèrent à être plus fortes surtout lorsque Aung San Suu Kyi remporta le prix Nobel de la paix en 1991.[21] La crise financière asiatique de 1997 déstabilisa fortement l’économie birmane et, par le fait même le régime en place. [22]

En 2003, la démocratisation est inscrite dans l’agenda politique de la junte, mais sous la forme d’une « démocratie guidée ». [23] Avec l’aide du secrétaire général de l’ONU, la leader du NLD fut libérée et libre de voyager à travers le pays, mais en 2003, elle fut attaquée et forcée de retourner sous surveillance dans son domicile. [24]

Les sanctions imposées au régime politique par les pays occidentaux visaient à affecter économiquement l’intérieur du pays. Malgré sa situation précaire, la Birmanie ne recevait pas d’aide étrangère comme les autres pays en voie de développement, par exemple, une aide du FMI. Cependant, les réserves en pétrole et en ressources naturelles ainsi que l’appui de la Chine ont permis au régime de survivre. [25]

Révolution Safran

Manifestation de moines bouddhistes

En septembre 2007, les moines birmans protestèrent contre la hausse des prix récente du gouvernement. [26] Malheureusement, les rebelles ne purent tenir plus de trois jours face à la répression de la junte, entre autres, parce qu’il y avait un manque de leadership et l’absence de la classe moyenne. [27] Le nom Safran provient de la couleur des robes des moines. Cependant, au Myanmar, leurs robes sont plutôt bourgognes. Selon l’auteur Egreteau, cette erreur témoigne de la conscience et de la vision des Occidentaux. [28] Bien que c’était le premier mouvement de cet ampleur depuis 1988, le terme révolte semble être plus approprié compte tenu de l’étendue des événements. [29]

Le mouvement prit son essor suite à une décision économique du gouvernement. En effet, en août 2007, il annonça une augmentation du prix du pétrole de 100% et du gaz naturel de 500%. Peu de temps après, il en résulta une augmentation des prix sur le transport en commun, sur les produits importés, etc. [30] Dès le mois d’août, des marches silencieuses prirent forme au début, puis des manifestations organisées par des anciens leaders de 1988 eurent lieu à Yangon, mais furent vite dispersées par le pouvoir. Plusieurs obtenèrent de lourdes peines d’emprisonnement.[31] Il fallu attendre jusqu’en septembre pour voir sortir les bronzes, c’est-à-dire les moines bouddhistes. Au grand étonnement de la population, les acteurs religieux devenaient des acteurs politiques importants. [32]

L’implication du Sangha, qui est l’institution religieuse, était très significatif. Il faut comprendre que le bouddhisme est un pilier de la société birmane et la majorité de la population s’identifie au bouddhisme. [33] Or, il est important d’expliquer que les moines survivent grâce aux dons qu’ils reçoivent de la population. Chaque matin, ils circulent dans la ville afin de récolter la nourriture et autres dons pour affronter la journée. [34] Donc, les décisions économiques faisant pression sur la population affectaient aussi les bronzes qui voyaient leurs dons réduits. Les bronzes ont alors tenté de passer un message au gouvernement de manière pacifique. [35]

L’évènement du Pakotu le 5 septembre, où des centaines de moines descendirent dans le centre du village, fut le début du mouvement « All Burma Monks Alliance ». La réaction des autorités locales et militaires fut violente et, elles présentèrent des excuses le lendemain. Mais, contrairement à l’effet escompté, les jeunes du monastère incendièrent les voitures des officiels et gardèrent des fonctionnaires en otage. [36] Suite à la brutalité du gouvernement, le Sangha désira s’impliquer pour montrer leur désaccord avec le gouvernement. Des défilés furent organisés dans la plupart des villes au centre du pays où chaque monastère décidait de l’implication de ses bronzes dans ce mouvement.[37] Le 18 septembre, un ultimatum fut lancé par le mouvement « All Burma Monks Alliance » souhaitant l’annulation de la décision politique.

Au début du mouvement, la réaction du gouvernement fut différente de celle lors des autres mouvements historiques insurrectionnels. Jusqu’au 26 septembre, les défilés eurent lieu en silence ou dans la récitation de mantras sans qu’il n’y ait de lourdes perturbations par l’armée birmane. Les forces restaient à l’écart, mal à l’aise de devoir réagir à un mouvement bouddhiste, qui est un élément important de l’identité birmane. L’aspect politique de la révolution des Safrans fut amené par la Génération 88 et la Ligue nationale pour la démocratie. Ces acteurs politiques, ayant déjà participé à des mouvements insurrectionnels et aux luttes contre le gouvernement, ont saisi l’opportunité de promouvoir leurs idées politiques. [38]

_DSC0037 (2)Le 26 septembre 2007, près de la pagoda Shwedagon à Yangon, une première personne fut tuée. La veille, le gouvernement avait imposé un couvre-feu et de nombreux manifestants avaient été portés disparus. Ainsi, débuta la reprise en main de la situation par le gouvernement. Maintes arrestations eurent lieu cette journée-là. L’intensification des militaires arrêta rapidement les perturbations du mois. [39]

Grâce aux médias et à l’opinion publique internationale, la junte militaire avait  retardé ses actions afin de s’attaquer directement aux leaders des mouvements. Bien sûr, il y eut une trentaine de victimes et environ 75 disparus sans parler des victimes de violence et de torture, chiffres qui représentent difficilement la réalité. La réaction peut être considérée modérée, surtout si elle est comparée avec les évènements de 1988, où en une heure plus de 200 étudiants avaient été mitraillés lors des manifestations. [40]

 


[1] Yu Mung Cheong, « The Political structure of the Independent States », The Cambridge History of Southeast Asia, vol4 sous la direction de Nicholas Tarling (Cambridge: Cambridge University Press, 1999), 88

[2] Yu Mung Cheong, « The Political structure of the Independent States », The Cambridge History of Southeast Asia, vol4 sous la direction de Nicholas Tarling (Cambridge: Cambridge University Press, 1999), 117

[3] Yu Mung Cheong, « The Political structure of the Independent States », The Cambridge History of Southeast Asia, vol4 sous la direction de Nicholas Tarling (Cambridge: Cambridge University Press, 1999), 118

[4] Robert H. Taylor, « Myanmar: from army rule to constitutional rule? », Asian Affairs 43.2(2010), 229.

[5] Yu Mung Cheong, « The Political structure of the Independent States », The Cambridge History of Southeast Asia, vol4 sous la direction de Nicholas Tarling (Cambridge: Cambridge University Press, 1999), 119

[6] Yu Mung Cheong, « The Political structure of the Independent States », The Cambridge History of Southeast Asia, vol4 sous la direction de Nicholas Tarling (Cambridge: Cambridge University Press, 1999), 119

[7] Yu Mung Cheong, « The Political structure of the Independent States », The Cambridge History of Southeast Asia, vol4 sous la direction de Nicholas Tarling (Cambridge: Cambridge University Press, 1999), 119

[8]Renaud Egreteau, « Birmanie?: la transition octroyée », Études 416 (2012), 297

[9] Aung San Suu Kyi et Stéphane Hessel, Résistances : Pour une Birmanie libre (Lonrai : Don Quichote éditions, 2011), 60

[10] Ibid., 80

[11] Ibid, 102

[12] Robert H. Taylor, « Myanmar: from army rule to constitutional rule? », Asian Affairs 43.2(2010), 230.

[13] Ibid., 230

[14] Renaud Egreteau, Histoire de la Birmanie contemporaine : le pays des prétoriens ( Paris: Fayard, 2010), 64

[15] Renaud Egreteau, Histoire de la Birmanie contemporaine : le pays des prétoriens ( Paris: Fayard, 2010), 65

[16]Renaud Egreteau Histoire de la Birmanie contemporaine : le pays des prétoriens ( Paris: Fayard, 2010), 67

[17] Kyaw Yin Hlaing. « Understanding Recent Political Changes in Myanmar ». Contemporary Southeast Asia 34.2 (2012),202.

[18] Robert H. Taylor, « Myanmar: from army rule to constitutional rule? », Asian Affairs 43.2(2010), 230.

[19] Renaud Egreteau, Histoire de la Birmanie contemporaine : le pays des prétoriens ( Paris: Fayard, 2010), 81

[20] Robert H. Taylor, « Myanmar: from army rule to constitutional rule? », Asian Affairs 43.2(2010), 230.

[21] Ibid., 231

[22] Ibid.,  231

[23] Renaud Egreteau, « Birmanie?: la transition octroyée », Études 416 (2012), 299

[24] Robert H. Taylor, « Myanmar: from army rule to constitutional rule? », Asian Affairs 43.2(2010), 231.

[25] Robert H. Taylor, « Myanmar: from army rule to constitutional rule? », Asian Affairs 43.2(2010), 234.

[26] Renaud Egreteau, Histoire de la Birmanie contemporaine : le pays des prétoriens ( Paris: Fayard, 2010), 24

[27] Ibid.,24

[28] Ibid., 25

[29] Ibid., 24

[30] Ibid., 27

[31] Ibid., 29

[32] Renaud Egreteau, « Birmanie?: la transition octroyée », Études 416 (2012), 304

[33] Renaud Egreteau, Histoire de la Birmanie contemporaine : le pays des prétoriens ( Paris: Fayard, 2010), 30

[34] Ibid., 31.

[35] Renaud Egreteau, « Birmanie?: la transition octroyée », Études 416 (2012), 304.

[36] Renaud Egreteau, Histoire de la Birmanie contemporaine : le pays des prétoriens ( Paris: Fayard, 2010), 30-31

[37] Ibid., 33.

[38] Renaud Egreteau, Histoire de la Birmanie contemporaine : le pays des prétoriens ( Paris: Fayard, 2010), 35

[39] Renaud Egreteau, Histoire de la Birmanie contemporaine : le pays des prétoriens ( Paris: Fayard, 2010), 36-37

[40] Ibid., 41

 

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